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Catégories : La peinture

Le retour à la lumière d'un Van Gogh

1912565547.jpgDe notre envoyée spéciale à Londres Valérie Duponchelle
27/02/2008 | Mise à jour : 22:10 |
L'Enfant à l'orange, estimé à plus de 30 millions de dollars, sera sans doute le tableau le plus cher de la foire de Maastricht. Crédits photo : akg-images

Depuis quatre-vingt-dix ans, un petit portrait joyeux, peint par Van Gogh à Auvers-sur-Oise à un mois de sa mort, vivait à l'abri d'une collection suisse. Il sortira de sa réserve le 7 mars, à Maastricht.

Ce drôle de petit tableau, frais et rose comme une bonne intention, était accroché juste à côté du cercueil de Van Gogh, dans la pièce funéraire improvisée à l'auberge Ravoux d'Auvers-sur-Oise, deux jours après son suicide par balle, en pleine poitrine, le 29 juillet 1890. À peine un mois avant le drame qui plongea le village dans le deuil, fin juin, comme en témoigne le pré en fleurs en arrière-plan, Vincent, 37 ans, peintre du tourment humain et du soleil divin, avait concentré sa joie de vivre dans ce petit format (50 × 51 cm), testament non prémonitoire. Traitant la robe bleue de l'enfant par de vifs traits de pinceau, comme un petit ciel captif et un condensé de bonheur.

Coup de théâtre ! Connu des musées, où il fut montré de Detroit à Madrid, mais officiellement inconnu du marché de l'art, qui le voit sortir de quatre-vingt-dix ans de réserve en Suisse, L'Enfant à l'orange sera l'une des attractions de la prochaine foire de Maastricht, qui s'ouvre le 7 mars au public. Le secret était bien gardé aux Pays-Bas, où, il y a quinze jours encore, on jurait ne «rien savoir à propos du retour d'un Van Gogh au pays».

Le vernissage de la 21e Tefaf (The European Fine Art Fair) de Maastricht approchant, sous la pression des affaires de l'année à conclure en dix jours de foire très compétitive, les langues se délient de l'autre côté de la Manche.

C'est Dickinson, enseigne notable de Jermyn Street à Londres, qui a sorti ce portrait tendre de la fameuse collection d'Arthur et Hedy Hahnloser à Winterthur (Fondation Villa Flora). «Nous sommes fiers de proposer à Maastricht ce Van Gogh de grande provenance, petit tableau, mais plein de lumière, en état remarquable, resté quatre-vingt-dix ans dans la même collection historique. Un exploit », confirmait, hier matin depuis Hongkong, James Roundell, figure totémique de la galerie Dickinson, identifiable dans toute salle de ventes aux enchères, de Londres à New York, grâce à ses presque deux mètres de haut.

Cet Enfant à l'orange, blond comme une fille, mais sans doute fils d'un modeste menuisier d'Auvers-sur-Oise, tenant peut-être plutôt une balle orange qu'un fruit, est estimé à plus de 30 millions de dollars, a priori le tableau le plus cher de la foire.

Retour à cet été 1890 qui s'annonçait si prolifique dans la carrière de Van Gogh. Après la solitude, le soleil intense et les blés drus de Saint-Rémy-de-Provence (mai 1889-mai 1890), le peintre à l'oreille coupée depuis son accès de folie du 24 décembre 1888 était remonté au Nord, près de Paris et de son cher frère Théo. Le Dr Gachet, médecin homéopathe, lui avait été recommandé par Pissaro et jouissait de la réputation d'un amateur d'art, ayant déjà traité plusieurs artistes.

Là, installé pour 3,50 francs par jour sous les combles de l'auberge d'Arthur-Gustave Ravoux, place de la Mairie (aujourd'hui un restaurant), le Vincent dépressif cher à Maurice Pialat œuvra comme un forcené. Près de 80 œuvres peintes dans ses 70 derniers jours passés à Auvers ! Dont des chefs-d'œuvre, comme L'Église d'Auvers ou Le Portrait du Dr Gachet qui atteignit le prix record de 82,5 millions de dollars, chez Christie's le 15 mai 1990.

«Je m'attendais à voir un malade, mais c'était un homme costaud aux larges épaules, avec une bonne mine, le sourire au visage, et un air très résolu», raconta par la suite Jo, l'épouse de Théo Van Gogh. En partance pour sa dernière demeure, Vincent avait été heureux de découvrir à Paris son neveu et filleul, un bébé nommé, lui aussi, Vincent.

Les historiens de l'art puisent dans cet amour filial, émerveillé et inhabituellement serein, l'inspiration des portraits d'enfants peints à Auvers-sur-Oise. Dont cet Enfant à l'Orange. Qui aurait pu dire l'avenir, même si son petit air chiffon peut être lu comme une faille ? «Je profite de chaque jour, le temps est si beau. Et je vais bien. Je me couche à 9 heures, mais je me lève le plus souvent à 5… Et j'espère que ce sentiment d'être plus maître de mon pinceau qu'avant d'aller à Arles va durer», écrit Vincent à Théo, dans l'une des plus belles correspondances qui soient.

Le 5 juin, Vincent écrit à sa sœur Wilhelmina ce qui est resté comme son «manifeste d'Auvers» : «Ce qui me passionne le plus, bien plus que le reste de mon métier, c'est le portrait, le portrait moderne. Je le vois en couleur. (…) Je voudrais peindre des portraits qui apparaîtraient, un siècle plus tard à ceux qui vivraient alors, comme des apparitions.»

Longtemps tenu pour le portrait d'une fillette dans les inventaires, L'Enfant à l'orange a été identifié par Adeline Ravoux, fille de l'aubergiste qui raconta, en 1957, les derniers jours d'un grand peintre, comme Raoul, 3 ans, fils du menuisier du village, Vincent Levert. Il fut probablement l'auteur du cadre en bois dans lequel le tableau est resté, comme du cercueil du peintre au pied duquel on posa palette et pinceaux.

Après la mort de Vincent, Théo le décrocha des murs comme L'Église d'Auvers et les merveilleux Iris mouvant comme les serpents de la Méduse. Tous les tableaux furent rapatriés dans son appartement parisien. Six mois plus tard, Théo mourait à son tour, laissant Jo maîtresse d'un héritage historique et d'âpres débats sur les provenances. Le tableau fut proposé en décembre 1890 pour 500 francs à Octave Maus, puis exposé à Bossum (Hollande) au printemps 1891 avec 550 autres Van Gogh et encore en 1905 à la rétrospective du Stedelijk Museum d'Amsterdam.

Les Suisses Arthur et Hedy Hahnloser l'achetèrent en 1916 et le tableau resta à Winterthur depuis. Si les grands pros du marché font un peu la moue devant un bébé, sujet toujours difficile à vendre, et devant une estimation jugée trop optimiste, personne, pour une fois, ne conteste la magistrale signature.

http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/02/28/01001-20080228ARTFIG00017-le-retour-a-la-lumiered-un-van-gogh-.php

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